- Romana Londi
Jetlag: Lullaby to the Tick of Two Clocks
En 2017, Romana Londi prend conscience chez elle que ses plantes meurent souvent. Elle réalise alors qu’elle les place là où il lui semble bon à elle de les placer et non là où la lumière les atteint et les touche.
Son travail est connecté au vivant au sens premier et physique parce qu’il est connecté à ses limites, à ce qui peine et disparaît.
JETLAG parle de nos corps et de leur incroyable vulnérabilité à leur environnement. Le phénomène du même nom est la rencontre de deux horloges — une intime et une universelle — qui lors d’un déplacement trop rapide viennent à divorcer l’une de l’autre, créant une rupture des rythmes. Ce phénomène de distorsion et de désorientation est à l’œuvre dans la nouvelle série de tableaux de Romana.
Le medium photochromatique qu’elle utilise sous forme de collages dans la peinture permet une transformation des couleurs au contact des UV et de la lumière mais aussi aux contacts des ombres qui s’y approchent et s’y couchent. À l’image de nos corps, le tableau capte et réagit à son contexte immédiat dans un mouvement performatif.
Dans ses compositions à l’origine abstraites, se détachent maintenant quelques éléments figuratifs, flottants et dissociés, une symbolique religieuse et de l’au-delà. Des os, des têtes, des étoiles, des drapés et des portes, la machinerie du corps à travers la figure de San Bartolomeo — si chère à Romana — écorché vif qui porte sa peau sur ses épaules, comme un fardeau ou un manteau.
Living outside of the body
Une représentation du Saint veille d’ailleurs à l’entrée de l’atelier de l’artiste à Rome. Les collages de plastiques photochromatiques sont alors des fenêtres qui font émerger la vie dans une impossibilité violente et puissante de la contenir. Elle est devenue folle. Des formes monstrueuses, dispersées, pulsantes envahissent les toiles.
La tête à l’envers, la tête en bas, la tête portée au sommet, la tête soumise à nos pieds.
Cette série d’œuvres intervient justement dans un désir de réparation et de reconnexion à soi, physique, psychique et relationnelle. Dans ces environnements bouleversés où la gravité s’inverse, se tenir debout se dissout dans se tenir coucher et conscientiser petit à petit les formes revient à faire apparaitre la puissance du vivant. Détermination. Endurance.
Les tableaux de Romana gardent en mémoire la vitalité et la mort, le commencement et la fin. Entre les deux, surgissent les fantômes du passé remués par les tempêtes d’une peinture qui perd ses repères. Avec Sacha Guedj Cohen, qui organise donc la première exposition personnelle de l’artiste à Paris, nous avons beaucoup échangé au moment de l’écriture de ce texte. Cette résurgence du passé dans le présent démantelé de la toile est liée à son environnement proche.
Elle convoque cette iconographie des croix et des gorgones, ce traitement des clairs-obscures à La Caravage, qui jaillissent du tableau comme de violents flashs de lumières personnifiés par le biais du pinceau de l’artiste. La composition devient une scène violente de théâtre dramatique à laquelle participe les personnages spectraux de Romana, pris dans un mouvement associé au clair-obscur qui disloque et brise les formes — consciente de l’héritage du Tintoretto.
Le travail de l’artiste est ainsi fait de temps qui se rentrent dedans. L’agitation à l’œuvre est autant un refus d’aller trop vite qu’un refus du fixe et de l’installé, une résistance à la linéarité des récits. À certains endroits, les lentilles photochromiques forment des planètes, des soleils, des horloges ou des yeux. Des fenêtres ou des yeux sur des mondes en cours qu’il faut prendre le temps d’embrasser. Une berceuse rythmée au son de deux horloges : Lullaby, to the tick of two clocks.
Texte d’exposition : Elisa Rigoulet
Pour « Jetlag: Lullaby to The Tick of Two Clocks », Romana Londi continue sa recherche sur l’expérience incarnée de l’altérité et de la transformation. Réalisée dans le cadre d’une collaboration exclusive avec Transitions Lenses et Luxottica Essilor, l’artiste présente une série limitée d’impressions photochromiques et de collages uniques de film photochromique et de peinture. En synchronie avec les lumière du soleil et donc avec la localisation géographique, la saison et l’heure, les travaux deviennent hybrides en rassemblant et synchronisant des réalités conflictuelles, défiant consciemment l’identité fixe, la politique et les récits au lieu de jouer avec des temporalités vibrantes.
Elle présente la lumière (la condition primaire invisible et toute-puissante de la vie sur terre) comme une expression de conscience et de danger. Ce qui émerge est une compréhension sublime de la sensibilité qui existe au-delà de notre domaine visuel connu, évoquant plutôt un état de conscience raréfié.
Romana Londi est diplômée du Central Saint Martin en 2009. Elle a récemment participé aux expositions suivantes: Planet B, Climate Change et The New Sublime, Venise, IT ‘I am the beat, Desire Nights, IMMA Museum, Dublin, IRL Gaia has a Thousand Names, Elgiz Museum, Istanbul, TR Mademoiselle, Centre Regional D’Art Contemporain, Sete, FR.