Spiaggia Libera

en Projets Artistes
Talk Gaby Sahhar & Martha Kirszenbaum
2024
  • Talk Gaby Sahhar & Martha Kirszenbaum
09.11 à 19h

Artiste français et britannique d’origine palestinienne, Gaby Sahhar développe dans ses peintures, sculptures et installations des thématiques liées à la notion de frontière, aux géographies politiques, aux identités de genre et à la sexualité. Convoquant fiction spéculative, science-fiction et réflexion sur les sites de transit des métropoles occidentales, iel tisse des récits visant à déconstruire les dynamiques de pouvoir imposées aux communautées marginalisées, et notamment queer, en s’intéressant à l’intersectionnalité et aux rencontres possibles entre différentes pratiques militantes.

Son travail a été exposé aux: Magasins Généraux, Pantin (2024); Institut du Monde Arabe, Paris (2024); Quench, Margate, UK (2024) ; MAC VAL, Paris / The Kooples Art Prize (2023); PAGE (NYC), New York (2022); SPACE Artist Award (2022); Fragment Gallery, New York (2022); Sadie Coles HQ, Londres (2022), Whitechapel Gallery (2022) South London Gallery (2020).


Martha Kirszenbaum est une commissaire d’exposition, critique d’art et éditrice basée à Paris. Elle est diplômée en histoire politique et cultural studies de Sciences Po Paris et Columbia University à New York. Elle a été la commissaire du Pavillon Français de la Biennale de Venise en 2019, choisie par Laure Prouvost. Martha Kirszenbaum a fondé et dirigé Fahrenheit, un centre d’art contemporain et programme de résidences à Los Angeles (2014-17). Elle a précédemment travaillé comme commissaire associée à la Kunsthalle de Mulhouse (2014), commissaire en résidence au Belvedere Museum/21er Haus à Vienna (2012) et au Centre d’Art Contemporain de Varsovie (2010). Elle a également travaillé au New Museum de New York (2008-10), au Cabinet de la Photographie du Centre Georges Pompidou (2007) et au Département Media et Performance du MoMA (2006-07). Plus récemment, elle a été directrice artistique associée pour le projet méditerrannén de la fondation Art Explora, et curatrice en chef associée au musée Kistefos en Norvège. Elle a par ailleurs organisé des expositions, projections, performances et débats dans des institutions internationales telles que ICA à London, Palais de Tokyo à Paris, Madre Museum à Naples, National Museum of Oslo, Kunstall Stavanger, Beirut Art Center, Fondation Ricard à Paris, Kadist Paris et San Francisco, Pejman Foundation à Tehran, 221A à Vancouver, Los Angeles Contemporary Exhibitions, Biennale de Marrakech et Biennale d’Istanbul. Elle contribue régulièrement à Flash Art, Mousse, Kaleidoscope et CURA, dont elle siège au conseil de rédaction, et a animé des séminaires sur les pratiques curatoriales à UCLA, Université Paris VII et Malmö Art Academy. Elle a fait partie du jury des prix Pinchuk Future Generation Art Prize et du Herb Alpert Award, de la Jan Van Eyck Academy, du Prix Découverte des Rencontres d’Arles et de la Cité Internationale des Arts. Elle siège au comité du Tselinny Art Center d’Almaty au Kazakhstan

Vue d’exposition, « When language fails, bodies talk », spiaggia libera, Paris, France, 2024. Photo © Aurélien Mole

Vue d’exposition, « When language fails, bodies talk », spiaggia libera, Paris, France, 2024. Photo © Aurélien Mole

” Dans son essai Qu’est-ce qu’une frontière ? (1994), le philosophe Etienne Balibar mentionne trois grands aspects de l’équivocité des frontières héritées des Empires coloniaux et du concept d’État-Nation : leur surdétermination, leur polysémie et leur hétérogénéité. La question de la frontière, politique, coloniale ou imaginaire, apparaît ainsi au cœur de la pratique de Gaby Sahhar.

Le corps queer peut être, lui aussi, considéré comme frontière intime et publique — une fois que les corps sont libérés, les frontières le seront aussi. Comme l’exprime souvent l’écrivain et chercheur Paul B. Preciado, le corps est une véritable « archive politique vivante » et dont les stigmates reflètent les événements et traumas de l’époque dans laquelle nous vivons.

Inspiré.e par les politiques architecturales que révèlent les constructions de frontières, - reconnaissable à leurs structures d’acier et leurs cubes métalliques -, Gaby Sahhar évoque dans ses tableaux un environnement de paysages fragmentés, un découpage frontalier de murs et de portails, peut-être ceux-là mêmes qui enclavent les territoires palestiniens depuis 2002.
La dernière série de peintures de Gaby Sahhar propose une esthétique psychédélique aux tons verts, rouges et noirs évoquant par ailleurs les couleurs des drapeaux palestiniens, français et britanniques.

*Concrete Jump*, 2024, Huile sur lin, 75 x 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris. Photo © Aurélien Mole

Concrete Jump, 2024, Huile sur lin, 75 x 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris. Photo © Aurélien Mole

Gaby Sahhar, *Distorted*, 2024 Huile sur lin , 75 × 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris.

Gaby Sahhar, Distorted, 2024 Huile sur lin , 75 × 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris.

Un ensemble de huit sculptures ponctuent l’exposition, fabriquées à partir de boîtes de dattes Medjool palestiniennes. Toutes ornées d’éléments ayant trait à la notion de frontière, elles sont les vestiges vernaculaires de la manière dont la culture palestinienne a pu traverser les frontières jusqu’en Europe occidentale.

Car ce sont justement les architectures interdites et les périphéries floues des frontières, environnements hostiles et violents souvent agencés par les puissances coloniales, qui paraissent fasciner l’artiste, dont les œuvres reflètent à leur manière les théories du mouvement Forensic Architecture (Border Forensic), groupe de recherche multidisciplinaire basé à Londres utilisant des techniques et des technologies architecturales pour enquêter sur les cas de violence d’État et de violations des droits humains dans le monde.

Les titres des œuvres de Gaby Sahhar semblent tout droit sortis d’un contrôle d’identité aux frontières, et interrogent la dépravation de nos droits dans ces moments de pouvoir et d’humiliation : Passport Please, Enforcement Shoe, Suspicious Item etc. C’est d’ailleurs le fantasme de ces frontières qu’iel n’a pas connu et où iel ne peut se rendre qui procurent à ses peintures leur aspect semi-fictionnel quelque peu inquiétant.

Vue d’exposition, « When language fails, bodies talk », spiaggia libera, Paris, France, 2024. Photo © Aurélien Mole

Vue d’exposition, « When language fails, bodies talk », spiaggia libera, Paris, France, 2024. Photo © Aurélien Mole

Une des figures tutélaires de l’artiste est Pierre Molinier, peintre et photographe du début du siècle dernier, dont la vie et l’œuvre regorgent de sombres fantaisies et d’anecdotes sensationnelles. Ses photographies de corps fétichisés fascinent encore aujourd’hui. Bien qu’inspiré par le surréalisme, Molinier est resté en marge du mouvement. Sa technique d’autoportraits à laquelle Gaby Sahhar fait référence, consistait à se photographier travesti et maquillé, puis à découper et réassembler les images pour créer un collage — une vision idéale de lui-même. Les peintures de Gaby Sahhar dépeignent des créatures androgynes mi-robotiques et mi-fétiches, aux visages dissimulés et proposant une existence alternative aux convenances hétérosexuelles.
Non seulement complexes dans leur technique et leur sujet, ses figures, tout comme celles de Molinier, remettent en cause les idées traditionnelles de pouvoir, de domination et de fluidité des genres.

Compressed memories, 2024, Huile sur lin, 75 x 55 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris. Photo © Aurélien Mole

Compressed memories, 2024, Huile sur lin, 75 x 55 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris. Photo © Aurélien Mole

Icônes d’une ère post-genre et pionnier de la culture queer, Molinier a laissé en héritage à de jeunes artistes comme Gaby Sahhar un espace pour imaginer de nouvelles possibilités visuelles et politiques. À l’image d’autres peintres auxquels l’artiste fait écho, tels que William Blake ou Francis Bacon, Molinier explore la fragmentation du corps humain, éclatant les contours pour en révéler une vision nouvelle.


Cette déconstruction, transgressive et profondément symbolique, reflète l’éclatement des frontières d’un monde en guerre, où seuls ces corps morcelés peuvent encore être représentés. When language fails, bodies talk (Quand le langage échoue, les corps parlent).”

Martha Kirszenbaum

Vue d’exposition, « When language fails, bodies talk », spiaggia libera, Paris, France, 2024. Photo © Aurélien Mole

Vue d’exposition, « When language fails, bodies talk », spiaggia libera, Paris, France, 2024. Photo © Aurélien Mole

Gaby Sahhar, *The Impossible* , 2024, Huile sur lin, 75 × 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris. Photo © Aurélien Mole

Gaby Sahhar, The Impossible , 2024, Huile sur lin, 75 × 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris. Photo © Aurélien Mole

Gaby Sahhar, *Untitled*, 2024, Huile sur lin, 75 × 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris.

Gaby Sahhar, Untitled, 2024, Huile sur lin, 75 × 45 cm. Courtesy the artist & spiaggia libera, Paris.