- Gaby Sahhar
Art-o-rama 2023
Gaby Sahhar compose des paysages semi-fictifs où ce que l’on devine être la version hybride de monuments européens côtoie ce qu’il reste d’immeubles en ruine, encore habités par des silhouettes indistinctes.
À l’horizon, derrière les armatures et les débris restants, se dessinent les contours d’une ville occidentale qui pourrait être toutes les autres.
Si aucune frontière ne semble marquer la séparation d’environnements que tout semble opposer, il reste toujours au premier plan un mur, celui qui annexe et enclave les territoires palestiniens depuis 2002.
Puisant dans des souvenirs personnels et familiaux, des documents archivés, des émotions ou encore son inconscient, Sahhar développe une imagerie interrogeant les projections et les manières de percevoir un lieu, autant que celui depuis lequel il est regardé.
Les architectures impossibles d’Eurostine se dressent comme des mondes spéculatifs aux contours parfois dystopiques et aux temporalités brouillées, où se rencontreraient l’Europe et la Palestine, deux zones géographiquement éloignées qui se rejoignent pourtant dans l’identité multiple et complexe de l’artiste.
Si d’ordinaire l’imagination permet de s’extraire du réel, le néologisme du titre de la série apparaît ici comme un moyen de pallier ses limites, créant une réalité à la fois alternative et critique à l’égard des récits et des images qui la conditionnent.
Dans ses constructions urbaines, Sahhar crée un langage plastique prolongeant ses réflexions sur les processus d’identification, de désidentification et d’assimilationnisme qui entourent l’identité de genre, à l’identité palestinienne qui, toutes deux fragmentées et interdépendantes, partagent des positions de marginalités certes différentes mais détiennent aussi et surtout une capacité de lutte et de résilience face aux systèmes d’oppression.
Les trois anonymes vêtu·es de tenues fétichistes dans The Mirrored Room, et dont les rôles non définis pourraient être ceux de la soumission comme de la domination, suggèrent d’ailleurs la question des rapports de pouvoir.
À l’instar de toutes les autres figures humaines présentes dans Eurostine, aucun·e ne possède de traits identifiables, renvoyant à chacun·e son propre reflet et la possible perte, subie ou consentie, d’une identité au profit d’une autre.
La question n’est pas de savoir qui de l’artiste ou d’une autre personne se cache derrière l’indiscernable visage de Transitional, mais plutôt de sonder les conditions d’existence et le point de bascule entre son apparition et sa disparition : générer des itinéraires et des espaces à la marge, continuer à vivre au-delà de la répression, la confiscation et la négation en imaginant de nouvelles modalités d’être à soi, aux autres, et au monde.
Dans une langue multiple Sahhar conjugue des espaces lointains traversés par la lumière d’un soleil sous lequel brillent encore les lueurs éclatantes de celles et ceux qui se refusent à l’invisibilité.
Texte d’exposition : Camille Ramanana Rahary
Gaby Sahhar est un·e artiste Franco-Palestien·ne installé·e entre Londres et Paris.
Le travail de Sahhar mêle peinture, film et installation. Son travail déconstruit la représentation queer des sphères publiques afin de comprendre plus largement ses effets sur la conscience et les communautés queer. En dessinant sur le langage et la vulnérabilité comme outils, son travail aspire à créer des conversations autour de l’abordabilité, la résidence et l’interconnectivité au sein des cultures citadines. Iel emploie un storytelling spéculatif pour mettre en évidence les différentes manières dont les cadres psychologiques et physiques fragmentent l’identité palestinienne.
Son travail a été exposé au MAC VAL, Paris / The Kooples Art Prize (2023); PAGE (NYC), New York (2022); SPACE Artist Award (2022) and ses expositions collectives; Fragment Gallery, New York (2022); Sadie Coles HQ, Londres (2022), Whitechapel Gallery (2022) South London Gallery (2020).