Sentinelles

Spiaggia Libera

en Projets Artistes
Sentinelles
2024
Sentinelles
  • Louise Belin
  • Loucia Carlier
  • Anna De Castro Barbosa
  • Sol Cattino
  • Antoine Donzeaud
  • Michele Gabriele
  • Youri Johnson
  • Romana Londi
  • Marilou Poncin
  • Anastasia Simonin & Kazuo Marsden
  • Gaspar Willmann
  • Jack Warne

Sentinelles

14.12 → 28.02

Quelle est la part cachée des lieux que nous habitons ?
Qu’est-ce qui demeure en leurs murs après que nous les ayons quittés ?
Quels esprits subsistent après notre disparition ?


Ce sont ces présences que tente de sonder l’exposition Sentinelles, seconde occurrence marseillaise de la galerie spiaggia libera dans son nouvel espace. Invitant les artistes à spéculer sur le passé et la mémoire de cet endroit, elle se fait l’archive fictionnelle de la maison perchée sur les hauteurs de Malmousque. Faux souvenirs et reliques d’ancien·nes locataires se mêlent aux maquettes qui viennent se loger dans les intervalles laissés par un authentique mobilier. Créatures tapies sous le lit et êtres fantomatiques sont appelé·es à quitter leurs cachettes dans une entreprise de spiritisme et de désenvoûtement des lieux visant à exhumer – parfois exorciser – les traces d’existences antérieures.

Un autel aux sentinelles nous accueille, préambule à ce qui nous attend une fois passé le seuil. Il s’agit là de l’une des multiples interventions de Youri Johnson en ces murs. Potions et filtres, cartes magiques, grimoires et talismans en tous genres sont autant d’objets ayant appartenu à un ancien hôte, laissés là telle une initiation à L’Art secret de la guerre secrète. D’autres spectres habitent les lieux. Louise Belin leur rend hommage, dans la série des Augures, qui représentent autant de phénomènes immatériels, d’apparitions diverses, le plus souvent non identifiées. Une autre figure fantomatique – corps fragmenté – se diffracte dans la toile monumentale de Romana Londi, présence tutélaire surplombant l’ensemble. Une série de parchemins, reliques de la vie passée de Michele Gabriele, relate des événements advenus dans l’histoire personnelle de l’artiste, élevés au rang de fiction dès lors qu’ils sont couchés sur papier.

À l’inverse, les sculptures-monde de Loucia Carlier s’apparentent à des dioramas encapsulant une version dystopique de nos sociétés. Mi-panneaux de signalétique, mi-maquettes présentant des univers mêlant mobilier domestique et bureaucratique dans un environnement tant lunaire que souterrain, ses pièces se conçoivent comme différents espaces dans l’espace et autant d’histoires enchevêtrées. Anastasia Simonin & Kazuo Marsden imaginent pour leur part des icônes totémiques à l’effigie des flux impalpables qui font vivre les lieux. Ampoules, robinets et prises électriques sont ainsi célébrés comme autant de fluides aquatiques et électriques traversant les murs de la maison. Gaspar Willmann, quant à lui, mélange dans ses peintures ultra réalistes des objets génériques et organiques au sein de compositions dont la source est l’image numérique découverte au cours de diverses navigations web.

Les naïades de Marilou Poncin qui peuplent discrètement l’espace, se révèlent à nous par jeux de reflets. Suggérant des postures intimes, elles se déploient dans toutes les salles d’eau de la maison, nymphes se dérobant subtilement à notre vue. Dans une même perspective, les peintures sur bois de Sol Cattino se présentent comme une série d’ex-voto retraçant des scènes inspirées de sa vie quotidienne à Marseille. Ôdes à la ville, différentes figures s’invitent dans les pièces de la maison, à la manière des pénates, ces divinités chargées de la garde du foyer. Une installation vidéo d’Antoine Donzeaud rejoue un espace clos au sein de l’une des chambres à l’étage, enserrant un portrait féminin dissimulé au cœur de lames concentriques qu’il s’agit d’entrebâiller.

Le titre de l’exposition est également porteur d’une valeur protectrice, si ce n’est belliqueuse. Les pièces d’Anna de Castro Barbosa revêtent chacune un caractère séduisant mais dangereux, pièges disséminés dans les interstices de la maison. En véritables sentinelles, elles se déploient, sinueuses, prêtes à nous assaillir. Guerrières silencieuses, elles se font les gardiennes de la mémoire du lieu. Perchée dans la vigie, une ultime figure peinte par Jack Warne observe l’ensemble, dernière habitante des murs veillant sur les autres.

Ce territoire à la fois domestique, intime et ouvert sur l’extérieur – maison ni réellement habitée ni complètement abandonnée – ouvre ainsi une réflexion sur l’architecture affective, la manière dont nous habitons les lieux et sommes parfois habité·es par eux. À travers cette exposition, il s’agit de faire table rase du passé pour acter la destination nouvelle de cet espace converti en galerie et désormais prêt à accueillir de nouveaux esprits.

– Camille Velluet